1963 – 1987, près d’un quart de siècle que le Tour n’a pas fait étape à Troyes ! Le cyclisme a bien changé. Après la suprématie d’Anquetil au cours des années 1960, d’autres champions ont marqué ces deux décennies : Merckx, Thévenet, Hinault… En cette fin des années 1980, le Tour se joue entre Fignon, Roche, Lemond ou Delgado…
Avec 23 équipes, 25 étapes, 4231 km, cette 74e édition se veut être celle des records. Jamais un Tour n’avait connu autant d’étapes. La médiatisation devient galopante avec près de 800 journalistes accrédités en provenance de tous les continents. Un milliard de spectateurs ont vu des images du Tour grâce à 140 diffuseurs, et 150 millions le suivent quotidiennement. L’épreuve devient définitivement le premier évènement sportif annuel au monde.
Le départ de la Grande Boucle a été donné à Berlin, ce qui n’est pas nécessairement du goût des coureurs, Fignon en tête. L’épreuve est ouverte, avec Zoetemelk et Hinault retraités, Lemond convalescent après un accident de chasse, et Fignon amoindri. Les Irlandais, Stephen Roche et Sean Kelly, les Français, Jean François Bernard et Charly Mottet, ou les Colombiens Luis Herrera et Fabio Parra peuvent se disputer le maillot jaune. En ce début juillet 1987, le quotidien L’Équipe fait de l’Aubois, Pascal Simon, un autre prétendant au podium. En réalité, le Tour 1987 est celui qui consommera le plus grand nombre de leaders : huit Maillots Jaunes et neuf changements, puisque Charly Mottet et Stephen Roche l’auront conquis à deux reprises.
Pour la première fois de son histoire, le Tour ne passe pas à Troyes pour une avant-dernière étape, mais au cours de la première semaine. C’est le Suisse Eric Maechler (Carrera) qui est leader au matin du 7 juillet alors que le peloton des 199 coureurs s’apprête à disputer les 211 kilomètres du jour entre Epinal et Troyes.
L’étape débute nerveusement. Le Chaumontais Régis Clère lance une première offensive au 72e kilomètre. Herrera, Alcala et Criquelion viennent lui apporter leur concours dans la côte du Bois de Bourmont avant de lever le pied. Seulement, Clère, qui pédale sous des couleurs espagnoles, maintien son effort dans la traversée de la Haute-Marne, galvanisé par son public. Il passe en tête à Colombey-les-deux-Eglises avec plus de 8 min d’avance sur le restant des coureurs. Vingt-sept ans après le dernier passage du Tour dans la commune du Général, les organisateurs ont souhaité lui rendre hommage avec un sprint « Souvenir du Général ». Régis Clère emporte les 30.000 francs de primes. C’est le moment que choisit un groupe de poursuivants mené par Laurent Fignon et les frères Simon pour partir en chasse. Jérôme et Pascal, les deux professionnels de l’équipe « Z-Peugeot » originaires de Mesnil-Saint-Loup, tiennent eux aussi à se distinguer. Ils ont là, l’occasion unique de briller devant leurs admirateurs. Seulement, au niveau de Dolancourt, le peloton rattrape les poursuivants et l’échappé après ses 180 km en solitaire.
Pendant ce temps, les dizaines de milliers d’Aubois amassés sur le parcours profitent de la Caravane publicitaire. 300 véhicules la composent cette année, et les différentes marques ont encore rivalisé d’ingéniosité pour se distinguer et distribuer casquettes, stylos, maillots et autre café colombien.
Sur les routes auboises, chaque tentative des Simon est suivi d’un contre du peloton qui ne fait pas de cadeau aux trois régionaux de l’étape. À deux kilomètres de l’arrivée dans Troyes, une chute du français Thierry Claveyrolat vient scinder le peloton. Pascal et Jérôme Simon décrochent à ce moment-là du wagon de tête, réduisant à néant leurs espoirs de victoire sur leurs terres natales, devant famille et amis.
Un peloton groupé se présente à l’entrée de la dernière ligne droite du boulevard du 14-Juillet. Wojtinek (Z) pourtant bien placé sous la flamme rouge se laisse enfermer. Van Poppel ne trouve pas le bon rythme et l’équipe Carrera ramasse la récompense de ses efforts grâce à Bontempi qui règle au sprint Dominguez et Van Poppel. Sean Kelly termine 5e. Guido Bontempi, déjà vainqueur de 3 étapes en 1986, remporte ici le premier sprint de ce Tour 1987. Il endosse le maillot vert. Seulement, quelques jours plus tard, il sera contrôlé positif à la testostérone, déclassé et sanctionné de 10 minutes de pénalité.
Les frères Simon affichent une légitime déception. Pascal, l’ainé, termine 21e et déclare : « Quand le Tour arrive dans sa ville, c’est évidemment merveilleux et bien sûr, le premier souhait que l’on nourrit est de remporter la victoire. Mais aujourd’hui c’était impossible tant Jérôme et moi étions surveillés. Dans les derniers kilomètres, nous avons encore tentés notre chance mais j’avais mal aux jambes. C’est dommage. ». Pour Jérôme, 31e, éprouvé par l’étape, la journée n’est pourtant pas terminée : « Comment refuser ses mains qui se tendent, comment refuser ces autographes alors que nous sommes chez nous au milieu de nos amis ! ».
L’ancien directeur des équipes nationales, Marcel Bidot, est présent dans les rangs des spectateurs et ne manque pas de venir saluer son ami Jacques Goddet, directeur du Tour de France depuis 1936 et qui prend sa retraite au terme de cette édition 1987. Bidot commente : « Cette arrivée à Troyes me procure une grande joie et une grande satisfaction, car cela fait plus de vingt ans que nous sommes sevrés de cette grande fête ». Il faut dire que le Comité local d’organisation a proposé un dispositif exceptionnel avec la mise en place d’un « Village du Tour » installé au Parc des Expositions. Les principales entreprises leaders du département y sont présentes afin de montrer leur savoir-faire. Les milliers de spectateurs y convergent en fin de journée. Bernard Hinault souligne cette initiative : « Ce Village du Tour constitue une formule inédite. Votre ville démontre la valeur de ses produits, ses activités, son tourisme à l’occasion d’une étape où le public et les journalistes sont très nombreux ».
Le 8 juillet au matin, au départ de l’étape Troyes – Epinay-sous-Sénart, les Troyens sont encore nombreux aux abords de la place de l’Hôtel de Ville pour les cérémonies protocolaires. Robert Galley se prête au jeu en offrant au maillot jaune son poids en champagne.
Les frères Simon bénéficient d’un « bon de sortie » exceptionnel leur permettant de devancer le peloton et d’entrer détachés dans leur village natal de Mesnil-Saint-Loup. Tout en mettant pied à terre quelques instants, ils sont happés par une foule enthousiaste et admirative. Mais la course reprend rapidement ses droits, emportant l’ancien maillot jaune 1983 et son frère cadet. Le Néerlandais Van Poppel remporte l’étape en région parisienne.
Texte Benoit Nayrac