Les Troyens et les Aubois piaffaient d’impatience de pouvoir admirer de leurs propres yeux les Jalabert, Virenque, Pantani, Zabel, Ulrich et autre Simon. Belle initiative de Jean-Marie Leblanc que de retenir Troyes comme étape pour ce Tour de l’an 2000. D’ailleurs, la Ville a mis l’accent sur la petite reine en décrétant « 2000, année du vélo », avec des nombreux évènements rythmant la vie de la cité pour l’occasion. Ainsi, le 13 avril 2000, les anciennes gloires du Tour ont fait escale à Troyes à l’occasion de la randonnée du Centenaire de l’Union Cycliste Internationale : Merckx, Rominger, Fondriest, Moser, De Vlaminck, Bugno… Quel plateau pour les amoureux du cyclisme !
Alors que le Tour est déjà joué, il est un coureur qui a coché depuis bien longtemps ce 22 juillet sur son calendrier. François, le cadet des Simon, s’est juré d’accomplir ce qui passerait pour un exploit historique, à savoir gagner dans sa ville natale. Il rejoindrait ainsi ses trois frères (Pascal, Régis et Jérôme) au palmarès du Tour, lui qui a l’honneur de porter le liseré tricolore de champion de France sur son maillot. Il a déjà tout planifié avec Jean-René Bernaudeau, le directeur technique de l’équipe Bonjour et ancien coéquipier de son frère Pascal : « L’idéal, c’est de partir dans une échappée 30 ou 40 kilomètres après le départ… je vais provoquer avant d’arriver à Troyes. Et si ça ne marche pas, j’en remettrai une couche, puis une autre… ».
Il fait chaud dans la cité belfortaine en ce samedi matin de juillet. Les rescapés de cette 87e édition vont devoir avaler une avant dernière étape marathon de 254 kilomètres, la plus longue du Tour 2000. Dès les premiers kilomètres, le Petit Sim’, bandana solidement noué sur la tête, applique son plan en se positionnant aux avants postes du peloton et lance une première attaque. Ce n’est pas la crevaison dont il est victime au 70e kilomètre qui peut atteindre son moral. Au kilomètre 139, il déclenche une nouvelle offensive. Il est rejoint par Sébastien Hinault et Grégor Gwiazdowski. L’écart se creuse mais lentement, la faute aux coureurs de l’US Postal qui impriment un bon tempo. Les trois hommes passent au pied de la Croix de Lorraine avec plus d’une minute d’avance. Dès Lignol-le-Château, les Aubois se sont amassés sur le parcours pour encourager et pousser « l’enfant du pays ». Alors que le peloton relâche sensiblement son effort, les trois échappés possèdent un peu plus de 4 minutes d’avance en traversant Bar-sur-Aube, à 52 kilomètres du but. Grâce aux écrans géants disposés sur le boulevard Victor-Hugo, où est tracée la ligne d’arrivée, les Troyens croient fermement au succès de cette échappée fantastique. L’ambiance est électrique. Daniel Mangeas, la voix du Tour, chauffe la foule et vient interviewer Jérôme Simon. « il lui faudrait 6 minutes pour être bien », commente-t-il. Malheureusement, sur la très rectiligne D619 et avec un vent de face défavorable aux échappés, les Telekom se mettent à rouler. Ils veulent mettre sur orbite leur sprinter Eric Zabel. Bien que maillot vert pour la cinquième fois consécutive, ce dernier n’a pas remporté d’étape depuis… 1997 !
À Lusigny-sur-Barse, l’écart est retombé à la minute. Quand bien même ! Avec panache et détermination, l’aubois lâche ses deux partenaires d’un jour. Il entre seul dans Saint-Parres-aux-Tertres à 5 kilomètres de l’arrivée. François Simon est transcendé par les acclamations des supporters qui le poussent à poursuivre jusqu’au dernier souffle. Mais il ne peut résister à l’irrémédiable retour du peloton qui l’avale sur le boulevard Pompidou, à 1800 mètres du but. Quel cruel dénouement ! La descente vers le boulevard Delestraint sert de rampe de lancement aux équipes qui veulent jouer la gagne. Devenu inévitable, le sprint massif d’une centaine de coureurs tourne à l’avantage de Zabel. De peu ! Le quintuple vainqueur du maillot vert doit s’employer pour battre McEwen dans un ultime coup de rein.
Dès la ligne passée, François Simon, sa fille dans les bras, est assailli par les médias et ses admirateurs. Le prix de la combativité lui est remis sur le plateau de France Télévision. Maigre consolation. Pascal, son frère aîné, sait « qu’il vient de faire un truc énorme » et le Maire de Troyes, François Baroin, déclare « je ressens beaucoup de tristesse d’avoir vu François échouer si près du but, mais je ressens aussi une immense fierté ».
Le dimanche matin, la foule se presse en gare de Troyes pour un départ inédit. Les coureurs prennent le mythique Orient Express pour rejoindre l’ultime étape parisienne et ses Champs Elysées. Les héros du Tour, Virenque et Jalabert en tête, prennent le temps de signer les autographes et de poser pour la photo souvenir. Naturellement, une ovation est réservée au Petit Sim’ quand il se présente accompagné de sa famille et de ses amis. Jamais les voyageurs d’un train n’avaient créé une telle ferveur dans un hall de gare bondé ! Et puis, une à une, les équipes rejoignent le quai pour goûter au confort de ce train de légende avant celui des pavés parisiens.
Texte Benoit Nayrac