Avec le retrait de son leader Jacques Anquetil, l’équipe de France de Marcel Bidot est en proie à de nombreux tiraillements entre ses deux dauphins, Henry Anglade et Jacques Rivière. L’étape de Lorient remportée par Rivière au détriment d’Anglade fait basculer la course. Toutefois, Rivière abandonne suite à une grave chute dans le Perjuret. Il laisse son maillot jaune à l’Italien Gastone Nencini qui dispose d’une confortable avance.
Il fait beau en ce samedi 16 juillet 1960 quand les 81 coureurs prennent le départ de la 20e étape longue de 229 kilomètres. Il n’y a désormais plus d’enjeu et les paris sont ouverts pour deviner le vainqueur du jour. Pour cette troisième arrivée en terre auboise, Jacques Goddet, le Directeur du Tour a choisi le boulevard Jules-Guesde comme lieu d’arrivée de l’étape Besançon-Troyes.
Une réunion d’attente est proposée aux spectateurs amassés le long du circuit. Durant chaque épreuve les Troyens encouragent du geste et de la voix les amateurs et les indépendants dont les efforts leur permettent de trouver l’arrivée des professionnels un peu moins longue. Naturellement, le passage de la caravane dans les rues troyennes est presque aussi attendu que celui des coureurs.
Mais c’est un autre évènement que la performance sportive qui va marquer cette étape au 159e kilomètre et alors que les cyclistes traversent la Haute-Marne avant d’entrer dans l’Aube. Apprenant par une indiscrétion que le Général De Gaulle est arrivé à sa résidence de Colombey-les-Deux-Eglises, Jacques Goddet demande à ses adjoints qui précédent la course de surveiller le bord de route. Il lui est confirmé que le Général est bien présent avec la Présidente à attendre le peloton sur la route départementale 619. Jacques Goddet en informe les coureurs qui roulent encore groupés, deux kilomètres avant Colombey. Au lieu indiqué, le directeur du Tour fait stopper sa voiture et crie dans son porte-voix : « Le Tour salue affectueusement le Président de Gaulle ».
Les coureurs, avec à leur tête Nencini (Maillot Jaune), Graczyk (Maillot Vert) et Darrigade (Champion du Monde) s’arrêtent à leur tour et se découvrent pour saluer le Président qui se tient en retrait. Il dit alors à Mme de Gaulle : « Je suis confus, le Tour s’arrête pour moi » avant d’ajouter « c’est parce que le Tour est joué qu’il peut s’arrêter ! ».
Le Général s’avance et serre la main d’Henry Anglade, d’Antonin Rolland et de Gastone Nencini auquel il déclare : « Bonne chance, Monsieur Nencini, vous allez gagner le Tour ». Pour la première fois de son histoire, le Tour est neutralisé pour saluer un spectateur.
Après ce bref arrêt, la course reprend ses droits avec une succession d’attaques. C’est à Vendeuvre-sur-Barse que Pierre Beuffeuil réussit à creuser un écart significatif de près de 20 secondes sur ses poursuivants. Malgré les contre-attaques du peloton, il possède 55 secondes d’avance au 200e kilomètre. En rentrant dans l’agglomération à Saint-Parres-aux-Tertres, il précède encore le groupe de Grazcyk de 45 secondes et le peloton de 1 min 30. Beuffeuil résiste et se présente seul sur le boulevard Jules-Guesde. Porté par les acclamations, le « blond » équipier du Centre-Midi franchit détaché la ligne. Pour la première fois de ce Tour 1960 un coureur régional est vainqueur d’étape. L’Histoire retiendra que Beuffeuil qui avait crevé peu avant Colombey a profité de la présence du Général pour rejoindre le peloton… Le facétieux maillot vert Graczyk, surnommé affectueusement « Popof », se distingue nettement à l’applaudimètre. Mais ceci n’est pas nécessairement du goût du Directeur de l’Équipe de France, Marcel Bidot, qui sermonne le soir venu ses coureurs pour avoir laissé échapper, pour la seconde fois après 1954, la victoire sur ses terres troyennes.
Le lendemain pour la dernière étape ralliant Troyes à Paris, la caravane et les coureurs ont rendez-vous sur le mail du lycée devant le Cirque Municipal. Marcel Bidot profite de ce moment de convivialité pour présenter l’équipe de France à Henri-Terré. A 11h20, les coureurs s’élancent en direction de l’avenue Gallieni avant de reprendre la route de Sens. Ayant certainement retenu la leçon du Grand Marcel, Jean Graczyk remporte l’ultime victoire d’étape au Parc des Princes. L’image de cette fin de Tour 1960 demeure l’italien Gastone Mencini remettant son bouquet de vainqueur à Marcel Bidot en hommage à Roger Rivière qui aurait dû remporter cette édition sans son accidentelle chute dans les Cévennes.
Texte Benoit Nayrac